Intégrer son Ombre
- Chloe Hamon
- 17 mai 2024
- 8 min de lecture
Il y a des jours, où l'on a plus envie de faire d'efforts.
Des jours où notre optimisme habituel, devient de la positivité toxique et forcée. Des jours où l'auto-sabotage devient séduisant. Où nos vices nous appellent. L'alcool, la drogue, le tabac, le sucre, le chocolat, le sexe, les mauvaises fréquentations, les complaintes, l'apitoiement sur soi, la victimisation.
Pourquoi y'a t-il des jours où l'on préfère redevenir une victime ? On sait que notre être mature et responsable prendra le relais demain.
On a plus envie d'essayer de faire bonne figure, on fait face à ce qui nous démange depuis toujours : la solitude, le rejet, l'abandon, la trahison... On en revient toujours à ses blessures fondamentales.
Alors, par procuration, on se rejette soi-même. Pourquoi prendre soin de soi ? Si eux ne l'ont pas fait. Pourquoi se choisir soi ? Si eux nous ont rejeté. Pourquoi s'aimer ? Si eux...
Dans le mouvement de développement personnel il y a une énorme injonction à s'aimer. C'est bien, c'est l'objectif, mais ça ne laisse pas toujours la place aux vrais émotions de sortir.
J'ai participé à un cercle de femmes un jour, et le thème était le coeur et la compassion. Tout le monde, y compris moi avons fait un tour de parole pour exprimer ce qu'on avait sur le coeur, et au second tour de salle, nous devions expliquer en quoi nous nous aimions. Je sentais et voyais dans les visages beaucoup de douleur internalisée et un peu d'inauthenticité, parce que "pour faire bien" il fallait répéter quasiment la même chose que la personne précédente.
Étais-ce simplement la projection de ma propre perception de comment m'exprimer ? Peut-être étais-ce moi qui me forçais à copier et à ne pas tout dévoiler ?
J'ai compris que, pour moi, à ce moment précis, l'acte d'amour et de compassion le plus honnête consistait à me dire la vérité : je ne m'aime pas. Je l'ai aussi dit tout haut et ça a eu l'air de déranger : j'étais la seule capable de faire un véritable pas vers moi-même en laissant une place aimante à mon ombre. Cette part pas jolie, qui ne correspond pas aux attentes ni au décor, qui semble s'apitoyer, rabat-joie ou mauvaise foi, qui casse l'ambiance et qui ne veut tout simplement se conformer. Peut-être était-ce de la pitié dans leurs yeux ? Dans tout les cas, j'avais comme signée ma différence.
À ce moment-là, je ne m'aimais pas. Pourtant, je ne me victimisais pas, ça ne me dérangeais pas d'être dans cet état, enfin un peu si, mais je savais que rien n'était éternel, que ce n'était pas une fatalité et que ce n'était qu'une distorsion de ma perception. À ce moment précis, j'ai juste accepté la réalité telle quelle était. Cela m'aurait fait beaucoup plus mal de continuer à pousser, à essayer de me convaincre. Et franchement, ça m'a libérée.
J'avais tenté quelques jours plus tôt de renouer le contact avec une personne que je n'ai pas revu depuis bientôt 10 ans. Elle m'a répondu tout simplement "Non". Si elle ne m'aime pas, ou refuse de me le montrer, comment puis-je m'aimer ? C'est ce que se disait mon enfant intérieur.
Et moi adulte, comment puis-je apaiser, et donner de l'amour à cette enfant ?
L'honnêteté, la transparence, l'acceptation inconditionnelle. Accepter ma part d'ombre, ma douleur, accepter que je ne suis pas toujours aimante, patiente, confiante, gentille et généreuse. Accepter mon imperfection et ma différence, mes côtés repoussants. Accepter ma tendance à me rejeter, voir où est-ce que je m'abandonne et me juge. Accepter que parfois j'ai envie de m'auto-saboter car j'ai toute cette colère enfouie qui ne trouve pas d'autres moyens de s'exprimer. Accepter que je fuis les relations, que je refuse de m'ouvrir à mes proches, que je m'isole et que je me plains de ma solitude ensuite. Accepter que je me sens coupable de choses que je ne pouvais pas contrôler.
Ces émotions sont là, elles sont présentes. Peu importe les kilomètres que je parcourrais, je ne pourrais pas y échapper. Je peux éviter d'en parler, en faire un tabou, me dire qu'il y a pire, me fermer et laisser mon coeur se durcir. Je peux manger, fumer ou jouer pour anesthésier mon corps, inonder mon cerveau de dopamine, mais ce sont des pansements, dès que je les retirerai, la blessure en dessous montrera son infection putride pour avoir été laissée si longtemps.
Je pense que c'est grâce à la découverte de ce pouvoir d'acceptation que j'ai pu découvrir et ressentir le véritable amour profond, inconditionnel et sûr que je ressens aujourd'hui pour moi-même mais aussi les autres et le monde. Parce que je me suis lâché la grappe sur ma bonne volonté, que j'ai laissé le flux de la vie passer, les émotions fluctuer. J'ai arrêtée de me mettre la pression sur la résilience que je "devrais" avoir, et en arrêtant de me juger tout court.
La seule sortie est à travers. Il en faut pas fuir l'émotion mais bien la traverser, rentrer à l'intérieur et la laisser nous envahir, tout en continuant à marcher. Bien vite, nous nous rendons compte qu'elle se dissout d'elle-même : tout ce qu'elle demande c'est d'être ressentie pleinement. Dans le présent. Et ce n'est pas parce que l'on arrête de se mettre la pression que l'on devient des loques inactives et qui ne font plus rien pour changer et s'améliorer, que l'on s'embourbe dans la négativité, bien au contraire. En s'apportant la douceur, l'inspiration à agir arrive plus naturellement et on a plus à se forcer à quoi que ce soit. Les changements que l'on désire s'installent presque tout seul (à condition quand même de suivre ces actes inspirés).
Nous amplifions ce sur quoi nous mettons notre attention, oui, mais il ne s'agit pas d'ignorer ces ombres. Elles finiront toujours par revenir et deviendront de plus en plus bruyantes si on ne les écoute pas. Car elles sont là, en arrière plan. Le moyen pour nous de vivre plus en paix et sans la peur des les voir ressortir sans pouvoir contrôler est de faire ami-ami. Faire face à son ombre et l'intégrer à notre être plus lumineux.
Il est courant après avoir vécu une période très sombre, négative et destructrice de revenir dans la lumière en étant responsable, positif et créateur. Et il est possible de se perdre dans les deux. De croire que c'est notre vrai nous et en faire notre identité. On entend alors ces discours faussés et forcés, qui ne collent pas avec l'être authentique : "Je suis saine et optimiste, je m'entoure uniquement de choses positives et gentilles" (mais je refuse de voir la négativité, la cruauté et l'hypocrisie qui existe en moi et autour de moi) ; "À quoi bon essayer, la vie est cruelle, autant profiter, j'adore faire la fête et prendre de la drogue " (je rejette l'amour et la stabilité car je pense que ne pas la mériter, c'est pour les autres seulement) ;
Le vrai nous est l'être intégré, c'est le yin-yang, c'est l'harmonie de l'ombre et de la lumière, ainsi que l'ombre dans la lumière et la lumière dans l'ombre. Ces deux discours plus haut ne laissent pas la place à l'autre. Il y a un rejet d'une part de soi-même. On ferme les yeux sur l'existence de notre propre dualité.
Certaines personnes oscillent entre ces deux extrémités, sans jamais trouver le juste milieu.
C'est ce qui m'énerve un peu dans la spiritualité, certes personne ne va vous le dire en face, mais il existe une culpabilisation de la part d'ombre. Alors oui, ça fait peur d'accepter que c'est une partie de nous, qu'on a en nous un animal blessé qui réclame notre attention. Et qui est prêt à tout pour l'obtenir. Je pense à l'analogie des loups, disant que nous avons deux loups en nous et qu'il faut choisir celui qu'on nourrit.
Mais je vois aussi un parallèle avec les chiens de combat qu'on affame pour les rendre violents et agressifs. Si nous faisons comme si notre colère, notre jalousie, notre tristesse, notre honte, notre culpabilité, n'existaient pas, elles peuvent revenir nous mordre plus tard dans la vie. Sous forme de maladie par exemple, ou tout simplement par ce vide intense dans le plexus, le ventre ou le coeur. Un jour, peut être, la drogue et le chocolat, ne suffiront plus pour "apaiser" cette souffrance.
Alors autant agir maintenant, autant essayer de voir ce qu'il se cache de l'autre coté de la douleur.
J'ai écrit un poème le jour où j'ai compris ce que c'était, je l'ai appelé Ouroboros :
Elle est là
Elle te regarde
Au fond du lac
De ton esprit
Le vide métallique
C'était elle
Au fond du puits
Pas de monstres
Pas de chimères
Juste toi
Chacun doit faire son chemin pour trouver son ombre et la regarder, puis l'intégrer. J'ai écrit ce texte depuis cette part de moi-même. Personne n'a le même vécu et votre ombre ne ressemble sûrement pas à la mienne, mais il y aura toujours quelque chose d'universel dans la douleur humaine. Je n'ai pas besoin de vous donner mon histoire, ni le contexte, pour que ce message parle à cette partie de vous.
Il faut arrêter de fuir par honte, de s'en vouloir de ne pas être parfait. L'équilibre c'est bien ça : les deux parts, pas une seule. La positivité toxique empêche la liberté d'expression. Je remarque que chez les gens dominés pas leur ombres, il y a une sorte d'honnêteté et de réalisme cru. Tandis que chez les personnes dominées par la lumière, une sorte d'hypocrisie, de fausseté et d'évitement. C'est le contraste en toute chose.
On ne peut pas courir pour toujours, alors aujourd'hui demandez-vous : Quelle émotion ai-je essayé de fuir ? Par quels moyens ? D'où vient cette émotion ? Suis-je capable de me poser cinq minutes, pour respirer et observer cette émotion ? Pourrais-je la dessiner ? Quelle couleur, forme, texture, goût, odeur a t-elle ?
Parler de son ombre sur internet est difficile. Oui, je peux avoir tord, je m'expose dans mon ego et ma conscience de celui-ci, je donne mon avis au risque d'être contredite, je m'avance tout en réfléchissant, ma pensée se forme à mesure que je l'exprime. Mais je ne me juge pas, je ne me critique pas à l'intérieur de moi-même, au contraire, je me valide. C'est tout ce dont j'ai besoin pour m'exprimer. Je n'ai pas à avoir honte de mon cheminent de pensée et je pense que le partager sur un monde aussi ouvert que le net me permet même de développer ma conscience et changer certaines croyances.
C'est un apprentissage sur l'ego, ne pas avoir honte et ne pas se nourrir de la validation des "j'aime" non plus. Cela permet de voir dans les angles morts qui nous sont inaccessibles si l'on refuse de s'exprimer (en ligne et dans la vie en général). Encore une fois, le seul moyen de dépasser ses peurs (critique, rejet, humiliation...) est de se lancer tout entier. Autant être rejetée pour ce que je suis vraiment si cela me donne l'opportunité de toucher l'âme de quelqu'un avec mon authenticité.
Je crois comprendre qu'internet a les mêmes règles que la société. Les personnes qui suivent les règles sont misent en valeurs, et celles qui ne veulent pas jouer le jeu du contrat social ne le sont pas. Mais cela permet quand même de se trouver, entre nous. À choisir, si je m'exprime je ne souhaite pas toucher le plus grand nombre mais trouver des gens comme moi. Et je pense que cela me permet aussi de me trouver moi-même.
Un nouveau miroir pour observer mon être entier : l'ombre et la lumière.
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